"Liberté intérieure et confortable servitude"

Référence : Boris Cyrulnik, Le laboureur et les mangeurs de vent, éditions Odile Jacob, 260 pages, mars 2022

               

«À 7 ans, j’ai été condamné à mort pour un crime que j’ignorais. Ce n’était pas une fantaisie d’enfant qui joue à imaginer le monde, c’était une bien réelle condamnation. » Boris Cyrulnik

Boris Cyrulnik : un revenant que le nazisme a voulu éradiquer. Pourquoi, se demande-t-il, et aussi pourquoi  le succès d’une telle idéologie ?
Pourquoi certains deviennent-ils des « mangeurs de vent », qui se conforment au discours ambiant, aux pensées réflexes, parfois jusqu’à l’aveuglement, au meurtre, au génocide ? Pourquoi d’autres parviennent-ils à s’en affranchir et à penser par eux-mêmes ?

        

Cyrulnik pense aux foules hystériques du nazisme, à ces troupeaux de moutons en mal de communion, en mal d’appartenance pour mieux se pelotonner dans un groupe, quitte à accepter mensonges et manipulations, au risque du malheur collectif. Tout conformisme ambiant aboutit au fait que « la pensée paresseuse ne procure que des amis qui disent tous la même chose, ce qui empêche la vérité, forcément nuancée ». (page 221). [1]

          
Avec Laurence Hansen-Love : Comment éviter le ressentiment ?

Les slogans évitent de penser : « Quand on hurle avec les loups, on finit par se sentir loup. » Pas d’individualisme dans cette logique, à moins d'avoir assez de volonté pour devenir vraiment autonome.
Au-delà de son histoire personnelle, Boris Cyrulnik nous montre le chemin du développement personnel, pour conquérir sa propre liberté, ici et maintenant.

                                      

«L'emphase qui mène à l'utopie s'oppose au plaisir des laboureurs qui découvrent la richesse du banal .» page 11

Contrairement aux "mangeurs de vent", les "laboureurs" ont une approche vraiment concrète en accord avec la réalité quotidienne. Leur savoir est d’abord leur expérience du réel. Laboureur, écrit-il, c’est d’abord la conjugaison de "labeur = travail et orare = parler".

Hannah Arendt se méfiait de ce sentiment d'appartenance, écrivant : « Je n'ai jamais aimé aucun peuple, ni aucune collectivité […], ni la classe ouvrière, ni rien de tout cela. J'aime "uniquement" mes amis et la seule espèce d'amour que je connaisse et en lequel je crois est l'amour des personnes. » [2]


« L’histoire nous démontre que les sorties de catastrophes sont toujours les mêmes ».

Boris Cyrulnik nous rappelle qu'un tyran ou un dirigeant d'un camp de concentration peut fort bien être un tortionnaire et un bon père de famille. C'est comme s'il existait une dichotomie, une double personnalité chez ces individus. La violence extrême est souvent le fait d'hommes ordinaires, qui ne se distinguent nullement des autres, de ceux qui l'entourent, pas forcément de psychopathes : « Dans la population des persécuteurs, on trouve de grands intellectuels, des psychopathes, des délinquants et un grand nombre d'hommes ordinaires ». (page 233).

« Méfions-nous des idées claires, elles sont réductrices. [...] Nous sommes pétris par notre existence.». (page 54)

Cyrulnik ne croit pas à la fatalité, donc pas davantage aux notions de bien ou de mal. En revanche, les premiers mois de la vie d’un enfant conditionnent fortement son devenir, ses capacités de développement. Les manques affectifs et de sécurité peuvent déboucher sur des difficultés insurmontables, surtout si ces personnes sont plongées dans un contexte néfaste et se livrent à des comportements victimaires qui conduisent souvent à la violence.

    
Avec sa mère en 1938 au Vel’d’hiv’

Si son analyse prend appui sur son vécu et la période de la Seconde guerre mondiale, le processus qu'il décrit est malheureusement de toutes les époques, y compris notre époque contemporaine qui n'est pas avare d'exemples.

Notes et références
[1] Paule Constant dans son livre "La cécité des rivières" (Gallimard, 2022) parle de « complaisance à l'avilissement » (page 62) et écrit « un enfant maltraité se croit responsable de la maltraitance qu'il a subie. » (page 82)
[2] Hannah Arendt
évoque dans son livre « Eichmann à Jérusalem » ce qu'elle appelle la « banalité du mal »

Voir aussi
Document utilisé pour la rédaction de l’article  Cyrulnik, La nuit, j'écrirai des soleils --

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